L’impact des plateformes de streaming sur la découverte musicale

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L’avènement des plateformes de streaming a bouleversé notre rapport à la musique. L’époque où l’on passait des heures à chiner chez les disquaires semble révolue. Désormais, un catalogue musical quasi infini est accessible en un clic. Mais cette facilité d’accès a-t-elle réellement enrichi notre expérience de découverte musicale ? Ou nous a-t-elle, au contraire, conduits vers une forme d’uniformisation de nos goûts, en nous enfermant dans des bulles algorithmiques ?

L’ère du streaming : un nouvel horizon pour la découverte musicale

L’argument principal en faveur du streaming est l’accès quasi illimité à la musique. Des plateformes telles que Spotify, Deezer et Apple Music mettent à disposition des millions de titres, couvrant un spectre musical d’une richesse inouïe. Cette abondance représente une opportunité formidable pour les mélomanes curieux. Auparavant, la découverte d’un artiste nécessitait souvent un investissement financier, que ce soit l’achat d’un album ou d’un single. Aujourd’hui, le streaming permet d’explorer des dizaines de titres sans engagement financier majeur. Cette réduction des coûts, comme le souligne une étude publiée sur Oeconomicus, a clairement démocratisé la découverte musicale.

Cette tendance est confirmée par une étude de l’IFPI, relayée par le SNEP. Les utilisateurs plébiscitent la liberté offerte par le streaming : 68% recherchent activement des titres spécifiques et 62% créent leurs propres playlists. Cette autonomie dans le choix est un atout indéniable pour la découverte musicale.

Les algorithmes : des guides musicaux personnalisés

Les plateformes de streaming ne se limitent pas à offrir un vaste catalogue. Elles ont développé des algorithmes de recommandation sophistiqués pour suggérer de nouvelles musiques à leurs utilisateurs. Ces algorithmes analysent nos habitudes d’écoute (titres, playlists, artistes favoris) afin de proposer des contenus adaptés à nos goûts. Les playlists “Découvertes de la semaine” de Spotify ou le “Flow” de Deezer en sont des exemples emblématiques. Ces fonctionnalités sont très populaires : selon une étude de Médiamétrie citée par la CNIL, 60% des utilisateurs français de streaming utilisent ces recommandations, et ce chiffre grimpe à 76% pour les abonnés payants.

L’influence de ces algorithmes est loin d’être négligeable. Selon une étude de Your Music Marketing (Y2M), relayée par Franconnexion, 21% des streams d’un large panel d’artistes provenaient de l’algorithme de Spotify en 2024, contre 18,7% en 2015. Cette étude estime que les algorithmes de Spotify pourraient générer entre 858 millions et 1,16 milliard de dollars de revenus pour l’industrie.

Les limites de la personnalisation : le risque des bulles de filtres

Cependant, cette personnalisation poussée soulève des questions cruciales. Le principal danger réside dans le phénomène des “bulles de filtres”. Ce concept désigne le risque d’être enfermé dans un univers musical restreint, où seules des œuvres similaires à nos écoutes habituelles nous sont proposées. Plusieurs études, comme celle d’AlgoDiv, analysée par Medium, se sont penchées sur cette problématique. Bien que les recommandations algorithmiques puissent augmenter la diversité des artistes écoutés, elles ne favorisent pas toujours le mélange des genres. Elles ont tendance à suggérer des musiques appartenant à des sphères de “légitimité culturelle” proches de celles que l’utilisateur fréquente déjà.

Prenons l’exemple du rap et de la musique classique. Un amateur de rap aura plus de chances de se voir recommander d’autres artistes de rap, même des sous-genres variés, plutôt que des compositeurs classiques. Inversement, un amateur de musique classique se verra principalement proposer d’autres œuvres classiques. Bien sûr, il existe des exceptions, mais la tendance générale est à l’homogénéisation des recommandations au sein de sphères de goûts préexistantes.

Un article d’Usbek & Rica va plus loin, en suggérant que les algorithmes pourraient activement façonner nos goûts et limiter la diversité de nos découvertes. L’article cite un chiffre particulièrement frappant : aux États-Unis, 99% des écoutes sur Spotify se concentrent sur seulement 20% du catalogue disponible. Ce constat remet en question la théorie de la “longue traîne”, qui postulait que l’ère numérique permettrait aux œuvres moins populaires de trouver plus facilement leur public.

La situation des artistes émergents

Les plateformes de streaming sont souvent perçues comme une opportunité pour les artistes émergents de toucher un public plus vaste. L’étude de Y2M indique que ces artistes bénéficient effectivement des recommandations algorithmiques, notamment lors des sessions d’écoute programmée. Cependant, la concurrence est intense, et il est difficile de se démarquer dans l’immensité du catalogue musical disponible. De plus, une étude de l’Arcom révèle que la rotation des titres est beaucoup plus rapide sur les plateformes de streaming qu’à la radio, ce qui peut réduire la durée de vie des succès musicaux.

Par exemple des artistes comme Pomme en France, ou encore Angèle en Belgique, ont pu bénéficier d’une visibilité accrue grâce à leur présence sur les plateformes de streaming et à des recommandations algorithmiques ciblées. Cependant, pour de nombreux autres artistes émergents, percer reste un défi majeur, malgré la promesse d’une plus grande accessibilité offerte par le streaming.

Vers un équilibre entre personnalisation et diversité

Face à ces enjeux, diverses approches sont envisagées. Certaines plateformes, comme Deezer, mettent en avant la “smart curation”, qui combine l’analyse algorithmique et l’intervention humaine, comme le rapporte un article de Focus Le Vif. Cette approche vise à intégrer une dimension éditoriale pour nuancer les biais algorithmiques et favoriser une plus grande diversité dans les recommandations. Par exemple, Deezer propose des playlists thématiques élaborées par des experts musicaux, permettant de découvrir des artistes et des genres moins mis en avant par les algorithmes.

D’autres recherches, comme celle menée par l’INRS au Québec et présentée sur EspaceINRS, se concentrent sur l’impact des algorithmes sur la diffusion de la musique francophone. Cette étude souligne l’importance de prendre en compte la diversité culturelle dans la conception des algorithmes de recommandation.

Il semble crucial de trouver un équilibre entre la personnalisation offerte par les algorithmes et la préservation de la diversité musicale. En tant qu’auditeurs, nous avons également un rôle actif à jouer. Il est important de cultiver notre curiosité, d’explorer activement de nouveaux genres et de ne pas nous laisser enfermer dans nos habitudes d’écoute. Les plateformes de streaming sont des outils puissants, mais leur utilisation éclairée est essentielle pour enrichir notre expérience musicale.

En définitive, les plateformes de streaming ont profondément transformé la découverte musicale. Elles ont démocratisé l’accès à un catalogue musical immense, mis en place des outils de recommandation performants et ouvert de nouvelles perspectives pour les artistes. Cependant, elles ont également engendré de nouveaux défis, tels que le risque des bulles de filtres et la difficulté pour les artistes émergents de se faire connaître. L’avenir de la découverte musicale dépendra de notre capacité collective – plateformes, artistes, médias et auditeurs – à trouver un équilibre entre personnalisation et diversité, entre l’efficacité des algorithmes et la richesse de la curiosité humaine. Des études comme celle menée par Le Garage Creative Music et d’autres sources comme Music Insiders soulignent l’importance cruciale de la recherche pour comprendre et anticiper les évolutions de la découverte musicale à l’ère numérique. L’évolution des algorithmes, la régulation des plateformes, et l’éducation des auditeurs à une écoute plus active et diversifiée seront des facteurs déterminants dans les années à venir.